Haïti : rester debout
Deux ans après le séisme du 12 janvier 2010, Haïti vit encore avec ses blessures. Les camps de déplacés, les ruines, les logements de fortune font désormais partie du quotidien. Les signes d’une reconstruction lente cohabitent avec des formes d’adaptation silencieuses et continues.
Ce reportage propose un regard sur la vie quotidienne des Haïtiens qui, dans des conditions difficiles, travaillent, prient, élèvent leurs enfants et perpétuent leurs traditions. Il traverse Port-au-Prince et ses alentours : charbonniers, cérémonies vaudou, gestes de survie, scènes de travail et de foi.
Ces images montrent simplement ce qui tient encore debout, ce qui résiste, dans les marges comme dans le coeur du pays.
par Ludovic Vauthier - Reportage complet (texte et photos) sur demande
More than two years after the January 12, 2010 earthquake, thousands of families still live in makeshift camps like this one in Pétion-Ville. Beneath improvised plastic shelters, living conditions remain dire: overcrowding, poor sanitation, and total reliance on humanitarian aid. The water buckets on the ground symbolize the daily wait for clean water — essential but scarce.Plus de deux ans après le séisme du 12 janvier 2010, des milliers de familles vivent toujours dans des camps de fortune, comme ici à Pétion-Ville. Sous des bâches plastiques tendues à la hâte, les conditions de vie restent précaires : promiscuité, absence d’hygiène, dépendance totale à l’aide humanitaire. Les seaux posés au sol rappellent l’attente quotidienne de l’eau, essentielle mais rare.
At 4:53 p.m. on January 12, 2010, Haiti was plunged into chaos. A magnitude 7 earthquake struck the country with devastating force. Its epicenter, located near Léogâne — just 15 kilometers southwest of the capital Port-au-Prince — triggered widespread destruction. Over 80% of buildings collapsed, leaving entire towns in ruins. In Léogâne, this shattered church bears silent witness: only the altar remains standing amid the rubble.Le 12 janvier 2010, à 16h53, Haïti bascule dans l’horreur. Un séisme d’une magnitude 7 sur l’échelle de Richter frappe de plein fouet le pays. Son épicentre, situé à proximité de Léogâne, à seulement 15 kilomètres au sud-ouest de la capitale Port-au-Prince, provoque des destructions massives. Plus de 80 % des bâtiments s’effondrent, laissant des villes entières en ruines. À Léogâne, cette église dévastée ne conserve que son autel, seul rescapé de la nef effondrée.
Two years after the January 12, 2010 earthquake, a child stands alone in front of the ruins of the collapsed presidential palace — a haunting symbol of Haiti’s state collapse. Behind him, tents of displaced families still occupy the square, a stark reminder of the delayed reconstruction. To this day, the palace remains unrebuilt.Deux ans après le séisme du 12 janvier 2010, un enfant se tient seul devant les grilles du palais présidentiel effondré, devenu un symbole de l’effondrement de l’État haïtien. Derrière lui, les tentes des déplacés rappellent que la reconstruction tarde. À ce jour, le palais n’a toujours pas été reconstruit.
In one of the largest displaced persons camps in the Haitian capital, set up on a former military base, a woman washes clothes for her family. The site, now crowded with tents, tarpaulins, and drying laundry, has been entirely repurposed by families who survived the 2010 earthquake.Dans l’un des plus grands camps de déplacés de la capitale haïtienne, installé sur une ancienne base militaire, une femme fait la lessive pour sa famille. Le site, aujourd’hui saturé de tentes, de bâches et de lessives, a été entièrement réapproprié par les familles survivantes du séisme de 2010.
Dans un camp improvisé installé près d’une épave d’hélicoptère abandonnée, un enfant joue en souriant, brandissant un morceau de tuyau comme un cerceau. Au milieu du chaos, la capacité des enfants à s’inventer des jeux reste intacte. L’appareil militaire, rongé par le temps, a été entièrement réapproprié par les habitants — graffitis, lessive, habitat de fortune.In a makeshift camp set up near the wreckage of an abandoned helicopter, a young boy plays joyfully, holding a plastic tube like a hoop. Amid the rubble and hardship, children’s ability to invent play survives untouched. The decaying military aircraft has been fully repurposed — covered in graffiti, surrounded by drying laundry and shelters.
Camp de réfugiés à quelques mètres de l'ancien palais présidentiel anéantiRefugee camp closed to the demolished presidential palace
Yound ladie playing in camp closed to the Presidential PalaceJeune fille jouant dans un camp près du palais présidentiel
In a hastily built neighborhood after the 2010 earthquake, two children walk hand in hand down a gravel path lined with standardized houses. Though tents have been replaced by more solid structures, living conditions remain precarious. These housing modules, often located on the outskirts of the capital, were designed to relieve pressure on overcrowded camps — sometimes at the cost of social isolation.Dans un quartier reconstruit à la hâte après le séisme de 2010, deux enfants avancent main dans la main au milieu d’une allée de maisons standardisées. Si les tentes ont laissé place à des constructions plus solides, les conditions de vie restent précaires. Ces modules, souvent implantés loin du centre-ville, ont été conçus pour désengorger les camps mais isolent parfois les familles de leurs repères.
A woman prays before the ruins of the Cathedral of Our Lady of the Assumption, completely destroyed by the January 12, 2010 earthquake. Once a major landmark of Haitian religious life, the cathedral now stands as a broken monument to the nation’s suffering. Amid the devastation, faith remains unshaken.Une femme prie devant les ruines de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption, totalement détruite par le séisme du 12 janvier 2010. Lieu emblématique de la capitale haïtienne, la cathédrale symbolisait la foi et l’histoire du pays. Aujourd’hui, ses murs éventrés témoignent de la fragilité du bâti comme de celle des vies humaines. Face au chaos, la ferveur reste intacte.
At midday under the sun, a religious procession winds through the ruins of the Cathedral of Our Lady of the Assumption, destroyed by the January 12, 2010 earthquake. Songs, prayers, and unwavering faith echo through the broken structure. Mourning and celebration blend in this sacred space now open to the sky.Sous le soleil de midi, une procession religieuse traverse les ruines de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption, détruite par le séisme du 12 janvier 2010. Chants, prières, ferveur : malgré les pertes humaines et matérielles, la communauté se rassemble dans une même foi. Le deuil se mêle à la célébration, dans un espace sacré ouvert à ciel perdu.
A woman lies prostrate on the ground during an outdoor Vodou ceremony, caught in a state of trance. In Haitian Vodou tradition, rituals blend songs, drums, dance, and spiritual possession. Through this grounded body, an ancestral connection to the spirits emerges — beyond ruins, poverty, or exile.Une femme en transe se prosterne au sol lors d’une cérémonie vaudou en plein air. Dans la tradition vaudou haïtienne, les rituels mêlent chants, tambours, danses et possessions spirituelles. À travers ce corps à terre, c’est la force d’un lien ancestral aux esprits qui s’exprime — au-delà des ruines, de la misère ou de l’exil.
During a Vodou ceremony, women in trance take part in a ritual procession accompanied by sacred drumming, chanting, and symbolic gestures. A coffin is carried through the crowd — not as part of a funeral, but as a ritual object evoking the presence of spirits. In Haitian Vodou, such ceremonies connect the living and the dead, unleashing ecstatic collective energy through possession and deeply rooted cultural expression.Lors d’une cérémonie vaudou, des femmes en transe participent à une procession rituelle rythmée par les tambours, les chants et les danses sacrées. Un cercueil symbolique est porté à travers la foule, sans qu’il s’agisse nécessairement d’un décès. Dans la tradition vaudou haïtienne, ces rituels invoquent les esprits, relient les vivants et les morts, et expriment une ferveur collective intense. Possession, gestes codés, et corps habités s’entrelacent dans une forme unique de spiritualité vivante.
A young boy gathers dry wood in an arid area for small-scale charcoal production — still the most common household fuel in Haiti. With little access to electricity or gas, families rely on charcoal for cooking, increasing pressure on the already fragile environment.Un enfant ramasse du bois mort dans une zone aride pour la production artisanale de charbon de bois, combustible encore largement utilisé dans les foyers haïtiens. Face à l’absence d’accès à l’électricité ou au gaz, le charbon reste la principale source d’énergie domestique pour cuisiner, au prix d’une pression accrue sur l’environnement.
his woman is preparing charcoal, the only available energy source she relies on to meet her daily needs — especially for cooking.Cette femme prépare du charbon de bois, seule source d’énergie dont elle dispose pour couvrir ses besoins quotidiens, notamment pour cuisiner.
Two boys carry heavy sacks of charcoal on their shoulders, either collected or produced in a nearby area. In Haiti, charcoal remains the main household fuel for cooking. This physically demanding task is often carried out by children, driven by necessity in a context of poverty, deforestation, and energy insecurity.Deux garçons ramènent sur leurs épaules des sacs de charbon de bois, récolté ou fabriqué artisanalement dans la région. En Haïti, le charbon reste la principale source d’énergie domestique pour cuisiner. Cette activité, souvent exercée dès le plus jeune âge, répond à une nécessité vitale dans un contexte de pauvreté extrême et de déforestation croissante.
Along a rural road, an open-air charcoal market comes to life. In Haiti, charcoal remains the primary household fuel. Men and women gather to sell or buy large sacks of charcoal in a survival economy where burnt wood becomes a form of currency. A daily scene that speaks volumes about ongoing energy insecurity and environmental degradation.Sur le bord d’une route en milieu rural, un marché à ciel ouvert s’organise autour de la vente de charbon de bois. En Haïti, cette ressource reste le principal combustible domestique. Hommes et femmes viennent y vendre ou acheter des sacs entiers de charbon, dans une économie de survie où le bois brûlé devient monnaie d’échange. Une scène quotidienne, mais révélatrice d’une crise énergétique durable et d’un environnement sous pression.
At one of the production lines of the Barbancourt distillery, a worker packs dark rum bottles ready for export. Founded in 1862, Barbancourt is one of Haiti’s oldest and most respected companies. It stands as a symbol of national industrial success, providing steady employment, promoting local resources (sugarcane), and offering a positive image of Haiti abroad.Dans l’une des chaînes de production de la distillerie Barbancourt, un ouvrier emballe les bouteilles de rhum noir prêtes à l’exportation. Fondée en 1862, Barbancourt est l’une des plus anciennes et prestigieuses entreprises haïtiennes. Elle incarne une rare réussite industrielle nationale, générant des emplois stables, valorisant les ressources locales (canne à sucre) et projetant une image positive d’Haïti à l’international.